Journée d’études du vendredi 23 janvier 2015 organisée dans le cadre de la Semaine du Labex

La question des futurs urbains s’est posée de façon exemplaire dans le cas de la création de villes. Ces « cités nouvelles » illustrent la volonté et la capacité des sociétés qui les construisent à se projeter dans l’avenir. Des colonies grecques aux villes nouvelles de la seconde moitié du XXe siècle, l’humanité a régulièrement pensé son urbanité dans le cadre de ces « cités nouvelles ». Le terme ne peut donner lieu à une définition possible tant son acceptation urbanistique, politique ou sociétale a pu varier selon les espaces et les périodes concernées. Il est clair cependant que les cités nouvelles du passé constituent un corpus d’expériences urbaines que notre temps se doit de connaître et que plusieurs équipes d’urbanistes (par exemple en Asie ou en Amérique latine) mobilisent de facto dans leurs projets urbains actuels.

Cités et villes nouvelles ont suscité des quantités de travaux permettant aussi bien d’interroger leur imaginaire urbain (des registres de l’utopie au décryptage du langage technocratique de l’aménagement des territoires) que leurs modalités de production (de la maîtrise foncière aux privilèges fiscaux). Les lectures architecturales ou urbanistiques de l’histoire des cités nouvelles ont permis de préciser l’articulation entre les héritages et les innovations et de mettre en débat la question des styles et des modèles. De nombreux travaux se sont également intéressés aux populations qui sont venues dans ces villes, aux différentes manières dont elles se sont réappropriées et ont parfois réinventé les espaces.

Les cités nouvelles, produites dans des contextes économiques et sociaux spécifiques, ont d’abord été conçues, aux XIXe et XXe siècles dans le cadre de politiques publiques nationales – il était donc naturel que les historiens commencent par les analyser à cette échelle-là, à l’aune des cultures politico-administratives nationales. Néanmoins elles sont aussi le fruit d’échanges entre ingénieurs, urbanistes, responsables politiques qui ont pu être qualifié de mouvement transnational. Faire histoire de ces échanges et des réseaux qui les sous-tendent permet de comprendre une part non négligeable de la structure actuelle de l’expertise internationale en urbanisme.

Nous nous proposons d’interroger durant cette journée d’études ces échanges et ces réseaux à travers trois questions complémentaires :

1.        Qui échange avec qui ? 

Les recherches sur les réseaux réformateurs municipaux ont mis en évidence l’importance des échanges sur les expériences urbaines aussi bien entre les élus locaux qu’entre les techniciens de la ville (architectes, ingénieurs, urbanistes) et les chercheurs associés au projet urbain (géographes, économistes) et dans une moindre mesure les milieux économiques (chambre de commerce et d’industrie, administrations portuaires, grandes entreprises,…). D’autres recherches ont mis en évidence l’importance précoce dans ces échanges de certains acteurs du monde de la prestation d’études (agences d’architecture, bureaux d’études d’ingénierie, etc.) dont l’action se porte à l’échelle internationale.  Il s’agira de reprendre cette grille de lecture en l’appliquant aux cités nouvelles du passé et du présent pour identifier les types de réseaux concernés, leurs modalités d’organisation (associations, forums,…), de fonctionnement (correspondances, voyages d’études, ateliers de projets urbains,…) et de rayonnement (publications professionnelles et savantes,…). Il s’agira aussi d’interroger l’articulation qu’on suppose décisive entre milieux professionnels (et économiques) et sphères politiques à l’occasion de ces échanges.

2.        Quels sont les espaces concernés par ces échanges ?

La géographie d’étude des bâtisseurs de cités nouvelles est souvent décrite comme une succession d’emprunts ou de dérivation de modèles (Letchworth, Stevenage, Brasilia, Tapiola, Milton Keynes, Le Mirail, Eisenhüttenstadt, La Villeneuve de Grenoble, etc.). Les voyages d’études révèlent cependant une géographie plus complexe voire ambivalente qui mérite d’être reprécisée.  Dès l’époque coloniale, l’édification de cités nouvelles (New Delhi, Canberra, etc.) suscite des circulations d’expériences dépassant le cadre des empires et faisant souvent office de laboratoires de la modernité. Dans les années 1950-1960 par exemple, on constate par exemple de nombreux échanges entre les villes nouvelles de l’Europe de l’Est ou d’URSS et les nouveaux ensembles urbains français. De même, à partir des années 1970, l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région parisienne (IAURP puis IAURIF) développe une action d’expertise internationale à destination de certains pays d’Amérique Latine ou du Proche Orient fondée notamment sur la politique des villes nouvelles de la région parisienne. De nos jours, l’urbanisation accélérée de l’Asie conduit à une modification des échanges d’expériences à une forme de retour inattendu de l’expérience des villes nouvelles européennes des années 1950-1970. Plus que la circulation de modèles clairement définis, l’étude précise des interactions entre cités nouvelles témoigne d’incessants bricolages qui redéfinissent en permanence une géographie mouvante.

3.        Quelles temporalités ces échanges mobilisent-ils ?

Les circulations d’expérience constituent à la fois l’opportunité d’interroger la synchronie des cultures urbaines (par exemple les grands ensembles collectifs des années 1950-1970 ou encore celle de l’époque actuelle à travers la question du développement durable comme levier urbain) et de questionner le rapport entre passés et futurs urbains à travers les contraintes et les enjeux du temps présent qui conditionnent la lecture des expériences urbaines passées et la rendent souvent très sélective. Les cités nouvelles ne forment jamais des créations ex nihilo, contrairement à ce que prétendent toujours leurs prétendus fondateurs. Outre qu’elles s’inscrivent dans un paysage qui les conditionne pour partie, elles constituent objectivement des modalités de réappropriation du passé des cités nouvelles qui les ont précédées et peut-être en définitive de toutes les villes. Que représente en définitive ce passé (plus ou moins proche) qui est mobilisé dans un contexte donné à travers la circulation d’expériences ? Une source d’inspiration ou au contraire une collection d’erreurs à ne pas reproduire ? A-t-on recours à l’échange urbanistique pour mieux s’affranchir d’expériences passées en matière d’aménagements nouveaux?

4.        Comment aborder la rationalité de l’échange ?

La perspective d’un dialogue entre le passé et le futur des villes s’incarne naturellement à travers le terrain d’études des cités nouvelles. Echanger c’est d’abord comparer des récits de ville, que l’ampleur de la réalisation urbaine a longtemps différé  mais qui se sont multipliés plusieurs décennies après leur fondation dans des contextes rédactionnels différents. Si le comparatisme de l’historiographie des cités nouvelles constitue une question passionnante pour l’histoire urbaine, la comparaison intéresse aussi directement les milieux professionnels, en particulier parce qu’elle implique une traduction de « modèles ». Comparer en 2014 les passés des cités nouvelles, c’est aussi interroger leur spécificité en tant qu’actes de planification dans des systèmes eux-mêmes en profond changement socio-économique. L’impulsion politique donnée à la création des cités nouvelles n’a-t-elle pas été l’un des éléments du changement de rapport entre institutions de planification et territoires ? Dans quelle mesure les leçons historiques de la production des cités nouvelles nous permettent-elles de penser les changements de paradigme de l’urbanité contemporaine ?

Comité d’organisation : Jérôme Bazin (maître de conférences en histoire contemporaine, Université de Paris-Est Créteil, CRHEC), Clément Orillard (maître de conférences, Institut français d’urbanisme, Lab’Urba), Denis Bocquet (professeur d’histoire et théorie de l’architecture, ENSAS, LATTS), Nathalie Lancret (professeur d’histoire de l’architecture, ENSAPB, IPRAUSS-AUSSER), Loïc Vadelorge (professeur d’histoire contemporaine, UPEM, ACP)

Comité scientifique : Groupe de travail « Usages de l’Histoire et devenirs urbains »

Modalités de proposition : Les propositions de communication rédigées en français ou en anglais prendront la forme d’un résumé d’intention de 5 000 signes minimum à 10 000 signes maximum, accompagné d’un titre provisoire et précisant le terrain et le corpus de sources sur lesquels le communicant entend s’appuyer sont à adressées avant le 15 octobre à loic.vadelorge at u-pem.fr